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29 mars 2021

Le nouveau roman de Pierre-Yves ROLLIN, BJ 89

 

Pierre-Yves ROLLIN, BJ 1986 à 1989, se prête à mes questions sur son passage à Ginette via le prisme de l'écriture.
Il nous présente ensuite son nouveau roman "Le cri",  titre qui interpelle quand on sait à qui il fait référence...

Le début du livre est rude et les descriptions nous plongent de manière abrupte dans la terrible réalité de l’époque. Alors pourquoi ce livre ? Je vous laisse le découvrir en espérant que personne ne sera choqué. Ce n'est en aucune manière notre volonté. Jésus sur la croix se parle et nous parle !
Et dans le contexte morose que nous connaissons actuellement, ce livre nous permettra-t-il d'entrer dans l'espérance de Pâques ?

 

Pierre-Yves, quel rôle a joué Ginette dans ta formation littéraire et ton envie d'écrire?

J'aimais beaucoup les mathématiques, et en particulier l'algèbre, mais c'est en Sup, puis en Taupe, que je me suis mis à aimer le français. C'était mon petit bol d'oxygène hebdomadaire, au milieu de ce programme si chargé en sciences.

J'ai aussi beaucoup apprécié les conférences organisées à l'école. Je fus notamment marqué par une soirée avec Michel Tournier qui, au-delà de son métier d'écrivain, se révéla être un conteur absolument magique. Sa voix, ses silences, la mise en relief de ses personnages, bref son talent de narrateur colorait le récit de manière extraordinaire. J'ai alors compris que la littérature n'était rien d'autre que l'art de raconter une histoire. Et ayant des origines bretonnes, raconter une histoire, cela me parle. Cela dit, c'est surtout au niveau de la fabrication des idées que Ginette m'a aidé ! La BJ encourage la créativité tout autant que le discernement, c'est un cocktail fertile !

Une anecdote aussi dont je me souviens c’est cette « journée du français » organisée pour nous « oxygéner » un jeudi matin. Nous avions eu 4h de conférences au lieu des cours, notamment « L’hindouisme et le 3ème œil de la connaissance ». Notre préfet, Pierre Clergeot, nous disait avoir souhaité marquer le coup, pour nous rappeler que le français était important dans notre construction de femme et d’homme.


Comment en es-tu venu à l'écriture ?

En travaillant dans le conseil pendant vingt ans, j'étais en plein dans la globalisation - nos implémentations étaient systématiquement déployées à l'international sur toutes les filiales de nos clients. Or, si ces projets suscitaient de l'appréhension au départ, ils se vivaient ensuite avec une saine dynamique, pour ne pas dire avec un réel enthousiasme. Cela m'a semblé en décalage complet avec un certain pessimisme ambiant que je constatais par ailleurs.

De manière similaire, ayant des parents très peu pratiquants, voire franchement athées, j'ai découvert la religion chrétienne sans jamais ne me voir imposer aucune contrainte. Ainsi, j'ai toujours perçu le message des Evangiles comme tout à fait positif, alors que la religion chrétienne donne parfois l'image d'une religion culpabilisante ou déconnectée de la réalité. En caricaturant à peine, Jésus ne parle des péchés que pour les pardonner !

Bref, au final, j'ai souhaité proposer un peu d'optimisme dans tout ça, de manière lucide et constructive. Et le timing fut bon, puisque je venais de revendre ma boite de conseil (Netpeople), ce qui me permettait de consacrer un peu de temps à un tel projet.

 

Après avoir publié en 2018 "Figures of Mankind", essai permettant d'appréhender les dynamiques de la mondialisation, de quoi parle ton nouveau livre ?

Je m'intéresse d'une part au discernement de Jésus tout au long de sa vie, d'autre part au paradoxe mathématique que représente l'une de ses ultimes paroles, juste avant d'expirer, lorsqu'il s'écrie "Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?".

 

Comment l'idée d'un tel sujet t'est-elle venue à l'esprit?

A l'âge de 6 ans, mon fils me demanda à la sortie d'une messe : "Mais au fond, pourquoi l'ont-ils tué?" Etant incapable de répondre à la question, je lui ai proposé de la poser directement au prêtre qui, lui non plus, ne sut quoi dire. Je m'aperçus que formulée ainsi, cette question retournait complètement la tradition chrétienne. En effet, dans la religion chrétienne, nous racontons l'histoire du Christ en sachant qu'il va ressusciter. D'une certaine manière, on raconte sa vie en commençant par la fin.

J'ai eu envie de reprendre cette histoire par le début, sans savoir d'avance comment elle allait se terminer, et de suivre ainsi le cheminement intérieur de Jésus.

On parvient à deviner son discernement en s'intéressant aux incohérences de l'Evangile : lorsque Jésus se contredit lui-même, ou lorsque les quatre Evangiles présentent une même histoire sous des éclairages distincts, parfois contradictoires. Par exemple, juste avant son arrestation, Jésus demande à ses disciples de préparer des épées. Puis finalement il se laisse arrêter sans résistance, allant même jusqu'à guérir l'oreille du soldat romain qu'un disciple venait de blesser. Cela veut dire qu'il ne savait pas forcément comment l'histoire allait se dérouler. Autre exemple, les quatre Evangiles relatent de trois manières différentes la toute dernière parole de Jésus au moment d'expirer. Ces incohérences sont riches de sens, lorsqu'on les explore de plus près.


Est-ce une exégèse, un essai théologique ou une affabulation de plus sur la vie de Jésus?

Aucun des trois.

En fait, c'est un exercice d'algèbre : comment réconcilier, d'un point de vue logique, toutes les incohérences que je relevais ? En particulier, le cri d'abandon de Jésus, au cœur de mon récit, représente un paradoxe difficile à résoudre dans le paradigme chrétien. Si Jésus est "de même nature que le Père", tel que l’affirme le crédo, comment peut-il exprimer son désespoir à Lui-même ? En procédant par intuitions mathématiques et par une lecture attentive de ces Textes, je propose une réponse qui reconstruit la cohérence de l’ensemble.

Et je fus surpris d'apprendre, par un ami prêtre à qui j'offris le roman tout juste paru, que mon récit est étonnamment proche, au final, de l'analyse de plusieurs exégètes, en particulier de St Jean de La Croix. Ce docteur de l’Eglise écrivit: "Sur le point de mourir, le Seigneur fut en son âme désemparé et comme anéanti, le Père le laissant sans consolation ni soulagement aucun, dans une tristesse profonde. C'est pourquoi il dut s'écrier sur la croix: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné? Ce fut le plus grand délaissement sensible qu'il eût éprouvé dans sa vie, et c'est à ce moment qu'il accomplit une œuvre plus grande que tous les miracles, toutes les merveilles qu'il avait faits sur terre ou aux cieux: la réconciliation et l'union du genre humain avec Dieu par la grâce" (Montée du Carmel, livre 2 chapitre 6). Cela dit, les exégèses de cette parole d'abandon varient : l'autre interprétation majeure est la référence au Psaume 22, selon laquelle Jésus exprime ce cri tout en réaffirmant sa confiance au Père. Au-delà de tout débat théologique, je me suis efforcé de raconter cette histoire de manière moderne, tel un conte, tout en restant le plus proche possible du récit des Evangiles.


Est-ce du prosélytisme, un travail d'évangélisation?

Dans le sens classique où on l’entend, et au risque de surprendre : non, pas du tout !

J'ai eu la chance d'assister à l’interview privé, en Thaïlande, d'un père missionnaire assez formidable. L'intervieweuse lui demanda : "Qu'est-ce que cela veut dire pour vous d'être missionnaire? Il répondit avec un immense respect pour les autres croyances : "Lorsque je rencontre un bouddhiste, je m'efforce de le rendre meilleur bouddhiste. Et j'attends de lui qu'il me rende meilleur chrétien".

Eh bien, je crois que les Evangiles, au-delà de leur dimension chrétienne, sont un récit d'une grande valeur humaine et j’ai souhaité raconter cette histoire d'une manière plaisante, susceptible de raviver la curiosité de ceux qui connaissent très bien ces textes tout comme de ceux qui ne les connaissent pas du tout. J’oserai dire que mon ambition est de susciter de l’émerveillement, quel que soit la sensibilité de mon lecteur dont je respecte profondément la potentielle altérité. 

Je m'inscris sur le plan de la spiritualité et non pas de la religion. Et on peut avoir une dimension spirituelle tout en étant athée, fort heureusement ! La philosophie, l'humanisme ou le mouvement des Lumières témoignent d'une quête de sens qui me semble pleinement "spirituelle". 

 Merci Pierre-Yves et bon vent à ton livre, toi qui es aussi un navigateur !

Sabine de Laigue

ps : veuillez noter en même temps la parution du livre les "Les sept dernières paroles du Christ en croix", recueil de médiations du cardinal Charles Journet avec la préface de Fabrice Hadjadj, philosophe et romancier.

 

3 Commentaires

Arnaud VANDAME (1986-1989)
Il y a 3 ans
Pschitteeezzzz, Pierre-Yves !!!!
Jean-Baptiste VIGOUROUX (1989-1990)
Il y a 3 ans
Bravo Pierre-Yves, amitiés !
Hugues de LOISY (1985-1987)
Il y a 2 ans
Dans le même ordre d'idée, Claude Tresmontant (1925-1997), métaphysicien et exégète, a mis en perspective les connaissances scientifiques actuelles, la révélation dans le peuple juif, la personne du Christ dans son Introduction à la théologie chrétienne. C'est une puissante et éclairante synthèse.

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